L’ERE DU BALBUTIEMENT

"Ils allèrent saluer Madame Maulle. A présent, elle les accompagnerait partout. Ils se demandaient quelle était sa fonction, si elle-même se considérait comme une servante ou  une sorte de patronne, du genre directrice de conscience, peut-être... Madame Maulle était grise, du moins à première vue, elle formait un ensemble qui rappelait le gris. Une personne comme un ciel de guerre. Elle préférait vivre dans l'ombre. Elle travaillait au plus près afin que les futurs leaders de l'humanité sortent du lot avec un peu d'avance, elle leur enseignerait l'assurance qui impose le respect. Nul n'aurait cru que cette femme qui ressemblait à n'importe quelle retraitée de la fonction publique, pût avec cette autorité, former ces futurs maîtres qui devraient bientôt correspondre aux attentes de tout le monde. Leur caractère serait intensivement forgé dans des centres spécialisés. On les appelait "les volontaires", on ne savait presque rien sur eux. Ils avaient moins de vingt cinq ans, ils étaient malléables, ambitieux, leur coeur comme une braise, semblait d'ores et déjà livré au tempérament de cette faiseuse de cyniques enragés. Ils cachaient sous leur apparence de jeunes gens dévoués, une haine insensée, quelques soirées de ratonnade derrière un discours fraternel pouvait encore les faire passer aux yeux de qui les rencontrait pour des jeunes gens inoffensifs ne pouvant pas se depêtrer de leurs origines trop modestes."

PATRICK TROMBALLE :"Madame Maulle et les dirigeants", éditions de la Noire Ode, 2007, Dreux.