Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

06.01.2014

HISTOIRE DU CINEMA # 1

3iuuu-schema_stenope.jpg

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  

 1 - Entretiens, Jacques Brenner par Antoine Malataverne. Extr.

 

"J'ai pensé que c'était d'abord, un effet de répétition, si j'avais voulu produire un effet de justesse maximum, Françoise Dulac, de toute façon, m'en aurait empêché, elle est à bonne distance pour porter un regard critique sur les textes quand je ne m'occupe que de l'image, Henri Ticher travaille avec elle, ils se concentrent tous deux uniquement sur le son, et je peux élaborer mes images, sans avoir besoin d'eux, du moins sur le tournage, Claudette Vauchon est là pour les remplacer tandis qu'ils travaillent chacun dans leur studio et qu'il est difficile pour eux de faire constamment les allers-retours. Nous travaillons le plus souvent en binômes mais séparément, et c'est avec la très talentueuse Jacqueline Ramade qui avait déjà travaillé sur les films de Julien Duvivier que nous avons réfléchi à des costumes d'époque, je tenais à ce que ce film soit entièrement filmé au château de Malevirade pour offrir au public des effets somptueux strictement fidèles au début du siècle, bien sûr nous ne pouvions seuls nous engager en aveugles sur de telles dépenses mais grâce au CCB et l'apport des fonds privés de la famille d'Albret, nous avons pu mener à terme ce projet et former une petite équipe très soudée, sans aucun souci financier, ce qui était très important pour la scène finale dans le grand salon, juste avant l'arrivée des invités. Cette scène nous a coûté la moitié du budget, elle a été tournée en Octobre 1961, et je tenais à y montrer le décalage de toute une société aristocratique face à la rusticité humaine des paysans demeurant entièrement sous sa dépendance. C'est dans cette scène que se trouve la clef de mon propos qui s'achève sur un thème dramatique , il me tenait à coeur de mettre en scène chaque plan en jouant sur le décalage, afin de surprendre le spectateur et l'inviter à une réflexion plus intime quant à sa façon d'engranger les images ou si vous préférez sortir le film de la fresque historique, et rejoindre les recherches du cinéma expérimental, qui déjà commençait à se faire connaître auprès d'un public d'initiés, et même un peu avant la nouvelle vague. Dans cette scène, du salon au moment où l'on entrevoit le premier invité entrer à travers des miroirs, je voulais que le synchronisme soit accentué par le fait que la lumière et le son, ne se déplacent pas à la même vitesse, il y a un effet de déconstruction, des deux éléments, qui génère alors un troisième effet, il ne détruit rien, en réalité, et quand, la comtesse Rose de Valisse, jouée Madeleine Robinson apparaît dans le salon, pour y accueillir celui qui n'est pas invité, Eugène Daumal, qu'elle connaissait alors qu'il était son palfrenier et son amant, il se présente sous le nom du Comte de Bièvre, qui est interprété par  Charles Boyer, alors, on entend la voix de Charles Boyer, et le son j'ai choisi de le caler sur le visage de Madeleine Robinson, la bande sonore détruit à nouveau l'effet attendu de l'image, immédiatement après, quand d'un poste radio qui n'apparaît pas à l'écran, et dont on ne peut même pas déterminer l'origine, on entend la voix d'André Malraux, qui se trouve elle même parasitée par le bruit de plusieurs haches, qui prennent progressivement l'espace audible et détruisent la mémoire du visage de Madeleine Robinson, celui-ci disparaîtra en fondu enchaîné sur un plan de trois arbres, vus à différentes distances, où sont mixés les sons réels du vent rythmant la voix d'André Malraux. Et ceci empêchera le spectateur de savoir ce que Charles Boyer et Madeleine Robinson auraient pu se dire, ou ne pas se dire, pour signifier, au final que les paroles parfois contiennent autant d'impondérables qu'un silence maculé de bruits."

 

JACQUES BRENNER : "Projet pour une critique cinématographique", entretiens recueillis par Antoine Malataverne pour la revue "Stenopé #67"n 1971, Grezet-Cavagnan.

 

 



  

Les commentaires sont fermés.