15.04.2014
LES ÂMES MORTES
Nous avons atterri à Chartres, juste à l'heure de dîner. C'était à moi de me débrouiller avec cet homme intimidant qui ne parlait que de mourir. Je me disais qu'avec un bon repas, arrosé de vins distingués, il pourrait à nouveau trouver de quoi aimer la vie divertissante telle qu'elle fût toujours enseignée dans ses livres ; il m'arrivait souvent de les relire quand ma propre existence me paraissait vide ou absurde. Nous étions dans le restaurant le plus prestigieux de la ville de Chartres, le chef Hubert Dulteil y proposait des créations splendides : "King crabe onctueux à la mousseline de Granny Smith, Poule faisane de Colchide flambée à L'Armagnac § copeaux de foie gras, frisée veloutée sur sa roulade de mangues, vacherin chocolat-truffe au safran agrémenté d'une fine écume de cardamome, etc...". Mon invité demanda au serveur si il était possible d'avoir simplement une laitue en entrée, de préférence sans assaisonnement, et plutôt que du vin, il me proposa de boire avec lui, la tisane de son thym, qu'il gardait précieusement au chaud dans un thermo Wadiga aux lignes esthétiquement parfaites dont il m'assura que c'était aujourd'hui le dernier trésor de technologie inventé pour une approche simplifiée des plaisirs issus des progrès de la science.
JACQUELINE BORDERAY : "Les Altruistes", éditions des goûters, 2004, Champhol.
Publié dans Ambiguïtés, Art de vivre, journalisme, Littérature française, Littérature moderne, Livre, Mort, Narcissisme, Philosophie, Photographie, Portrait, Psycho, Shopping, Sociologie, Spiritualité, Traditions | 05:45 | Lien permanent | Imprimer
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