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04.11.2014

SQUELETTES FLEURIS

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"Le vieux postillonnait. Quand on lui faisait remarquer, il regardait ses mains et ses pieds. Par habitude, pour rien, il croise et il décroise ses pieds toute la journée, il fait craquer les os de ses doigts un à un. Il s'amusait d'avance du bruit que ça ferait si chacun des osselets était une allumette, si ces mains se mettaient à poser le squelette devant eux, sur la table, au milieu des pommes vertes ou des compositions alambiquées de poires, de ces couleurs d'agrumes, quartiers de figues, pluies de baies, tous cirés. Il n'est plus si bavard qu'hier, et ces repas de famille commencent à l'ennuyer, il ne comprend même pas leurs phrases fabriquées d'un brouet de mots-valise, de franglais, et d'un jargon informatique qui le laissent loin derrière. A présent, ils sont là, tous ensemble, en train de déguster du poulet ; ça se passe chaque dimanche chez lui depuis vingt ans, ça pourrait durer vingt ans de plus parce que lui, il est vague, il n'ose plus refuser. Alors pour se calmer il fait craquer ses doigts, puis c'est le corps entier qui s'est recroquevillé quand il s'est aperçu que les autres l'observaient avec ce regard en coin, l'espèce de surveillance qu'on ne réserve qu'aux vieux. Il re-pense à son père quand il avait son âge, sa mémoire se promène dans les combles du maréchal, il pense à sa bonne femme, créature innocente posant dans sa robe de mariée achetée au "Bon Marché", elle tient une pervenche sur son coeur, elle y tenait. Il la revoit, sa bonne fée, devenue ce symbole de paresse, une image déformée perdue dans l'abondance de la maison Brossard, ce surpoids qui soupèse la valeur de la chair, il a vu cette bonbonne prise dans la bonbonnière. Ensuite il rembobine. Souvenir d'une photo d'un dîner devant l'arbre, toujours le même poulet sur la même toile cirée. Il revoit la grande fille et ses nichons qui pointent, deux boulets comme des bertes, abolissant la fée maternelle, l'indulgente, il la voit presque à terre, retomber avec eux, assise jambes écartées dans des bas couleur chair, posant pour le baptême avec ses cuisses énormes qui dépassent de la chaise."

 

MAURICE MAURASSE, extr. "Les charmes du devoir" suivi de "Lettre à Brigitte", éditions Jacques Bartissol, 1994, Coucouron 

 

 

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