20.05.2011
LES REGRETS
"J'ai gardé dans mon souvenir l'image pure de Cécile de Montmorency, j'ai toujours ses lettres à portée, que je relis sans cesse, les yeux éblouis d'ouïr dans son écriture sa voix si douce et mûre, elle est restée ma grande élue, maintenant que je suis sans ressource, que j'ai perdu l'argent, la notoriété, mes amis, que jamais plus personne ne m'invite. Les temps changent, avec l'infortune. Cécile de Montmorency, elle, me semble préserver la constance, elle ne craint pas la fureur de ceux qui m'ont tourné le dos, elle les dompte dans la douceur de son caractère et de gentil esprit, devient sévère quand on me nuit. Quand mon ardeur s'anime, je relis tous les vers de nos fêtes galantes, où jadis sa main frôlant la mienne m'apaisait. Le Marquis de Montmorency qui l'épousa sur un odieux chantage, nous tuerait tous les deux s'il savait, quelles joies nourrissent encore nos entretiens. Elle a juré à ce vieillard que plus jamais elle ne reviendrait me voir, il est vrai que ses visites sont risquées, ce tyran, s'il apprenait, l'exilerait pour longtemps dans son domaine de chasse, une demeure en Sologne, où elle serait recluse, pire qu'une nonne, jusqu'à la fin de ses jours. Le Marquis fût pourtant mon protecteur, presque un père à mes yeux autant qu'un maître, il m'apprît tout ce que je sais, et favorisa mes succès, y compris avec les jeunes filles, avant que je ne tombe sous le charme de sa jeune épouse. Je ne sais qui de lui ou de moi était le plus épris. Mais je devinais que Cécile de Montmorency m'avait choisi pour consoler son coeur. Le Chevalier D'Arthuys, un ami du Marquis la surprit avec moi, par hasard, dans une posture embarrassante, et scellant mon destin, à un affreux contrat, je dûs acheter son silence, jusqu'à me dépouiller de tout. Depuis, je suis en disgrâce. Cécile de Montmorency se plie mal aux caprices de son acariâtre mari, elle a beau s'éloigner de lui, il me semble parfois, malgré ses bontés apparentes, qu'elle est peut être complice de tout cela, et qu'un dessein vénal pourrait posséder ses esprits. On dit qu'elle est très compétente, pour attirer des êtres riches, un peu faibles, n'est ce pas ce que je fus ? On dit encore que depuis quelques semaines elle fréquente très assidûment le Chevalier d'Arthuys, il parait qu'elle est assez folle, pour s'afficher avec lui ainsi le chevalier se servirait de Cecile de Montmorency comme appât. Du moins c'est ce qu'on raconte encore, il parait que d'autres comme moi, y ont fourvoyé leur fortune. Mais quand je relis les lettres de Cecile de Montmorency, Je ne peux croire..."
GERVAIS DE LISIEUX : extr. "La nymphe passagère", éditions Du Carquois, 1602, Lisieux.
Publié dans Ambiguïtés, Amour, Autobiographie, Histoire, Littérature ancienne, Littérature française, Portrait | 17:06 | Lien permanent | Imprimer
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