L’HORIZON

Ils sont assis à la terrasse, ils boivent, mais ne rient pas comme quand ils sont entre eux, parce qu'il y a l'autre, qui revient de Chine et tente de refiler son livre, pas un livre, il dit que ce sont des carnets de voyages, qui font apparaître un constat, il dit que la dépression est partout, pas seulement dans les villes, il voudrait décrire ce passage que nous ne comprenons pas, il aura écrit dans son livre que les autres, ne la comprennent pas mieux que nous. Quels sont ces autres et ces mondes où le passage ne se voit pas ? Tout semble si tranquille, ici, le village ne bouge pas. Eux ils s'en fichent que le monde change ou ne change pas, ici c'est eux qui font la loi, ici c'est leur monde, rien ne bouge ça convient à leur loi. Dans la salle, il y a les images d'un match de foot et puis les yeux des vétérans absorbés par un journal qui a publié les résultats d'une course cycliste de vétérans et lui il raconte les mains jointes son voyage qui n'existe pas il les prie de le croire, la grande muraille, le bouddhisme, les combats du Dalaï Lama, il leur parle de ce livre, de la reconquête du savoir, c'est un problème urgent, dont il faut s'occuper tout de suite, il ne pourra pas porter cela  seul très longtemps, peut-être que eux, ils ont la force ? Il faudrait leur apprendre, ils ne savent pas encore que le village est savonné, c'est une pente, ils se contentent de cette pente qui ne tient pas. Il parle, et il s'écoute parler quand ils rient au milieu des pastis, des projets de manille et il y a le gros, qui rit en dedans, au milieu, le gros  qui fédère en douce, ses troupes autour d'une tournée générale, parait heureux comme un Bouddha avec son rire qui savonnera d'avance les volontés de tous."

ALFRED PIOLLET : "Sleep Forever", éditions "Plurifactorielles", 1995, Annemasse.