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09.02.2014

LA MONOTONIE DU DECOR

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"Il paraît qu'on le rafistole chaque jour. Vos empreintes ont déjà disparu, personne, même en cherchant, ne pourrait savoir ce qu'il se passe en réalité de l'autre côté de ce mur, ni plus près, ni autour. Les coupables ? Il n'y en pas. Ce sont nos ombres, nul ne les voit. Vous pensiez - en tant que victime - que vous seriez soutenu par les autres et qu'ils défendraient votre droit ? Mais puisqu'il n'y a pas eu de faute ; une fois qu'ils auront rafistolé le mur, il ne restera rien de votre vie là-bas, aucune trace. Oui, c'est ça, on bricole chaque jour un peu plus. Toutefois, vous les croiserez partout, ces petits dictateurs, vêtus comme vous et moi, ils ont fait la pluie et le beau temps, ils engendrent des monstres, ils ont enseigné à des gens tels que vous et moi, comment devenir de parfaits délateurs, il ne leur vient jamais le plus mince cas de conscience, le mur est re-blanchi chaque jour, ils ont même fondé des corps de métiers destinés à améliorer le pouvoir couvrant de leurs revêtements, et leurs masques, vous verrez peu à peu que nous nous mettrons tous à les porter, je ne sais si vous vous rendez compte dans quelle merde nous nous sommes fourrés. Enfin, de toute façon, nous, on rafistolera, on le fait déjà comme on peut. Je suis résignée autant que vous le semblez. Vous le semblez seulement. Bientôt vous deviendrez comme eux, et vous leur livrerez vos amis, vos parents, votre frère, votre soeur, et même votre fiancée. Vous brillerez. Vous leur ferez confiance et pour eux, cela n'a aucune importance. Pouvez-vous distinguer dans mon expression, ou dans mon sourire, quelque chose qui vous donnerait des indices sur mon état présent ? Non, vous ne le pouvez pas. Savez-vous de quel côté je suis ?  Non, vous ne le savez pas. Vous voyez, tout est parfaitement clair, lisse, sans le moindre défaut, pas une altération, la notion de mémoire est déjà archi-consommée, il faut s'habituer à jouer double-jeu. On s'y fera. Nos ficelles sont peut-être grossières, mais leur mur ne tombera pas de sitôt. Tout est prêt. Nous utiliserons leurs outils, c'est ce qu'ils voulaient, nous foutre ça dans les mains ; nous finirons par construire le même genre de mur chez nous, aucun voyageur ne pourra faire la différence ni soupçonner combien nos cervelles sont déjà décalquées sur leur mur, nous ferons exploser leurs cervelles sur un mur bien à nous. Je vous promets qu'il est presque venu le temps où nous aurons de quoi rafistoler à notre guise. Des murs, ils en mettront partout. Nous les ferons sauter, un à un. Nous sauterons avec. Nous sommes des irréels. Nous pouvons tout risquer, ça ne changera pas le futur. Nous serons au rendez-vous pour construire notre mur, et nous rafistolerons. Ne faites pas cette tête là, nous ne serons pas forcément perdants et tout ça n'est pas si sorcier, croyez moi !"

 

VICTORIA SLADE,  "Les irréels", traduit par Nicholas Dalley, éditions PriSmus, 2013, Atlanta.

 

 

 

 

Photographie © Robert Gallowe 2012. PriSmus Art Gallery /Atlanta-city

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