A REBOURS # 1

 

Le vieux est assis en tailleur dans la caravane, il parle seul au milieu des reliques d'une autre époque, c'est son époque, Jethro Tull, Soft Machine, les Doors, Janis Joplin sont ses idoles, depuis ce temps, ici, rien n'a bougé. La caravane comme à vingt ans,tapissée de bandes dessinées. Il n'a pas vu venir l'an deux mille. A ce qu'on disait, l'embrayage déjà patinait. Il parle couramment la langue d'Oc, il est porté par le cosmos et la psilocybine, ça lui permet de tenir encore une conversation avec des inconnus, celle-ci tellement étrange, qu'elle a fait sa réputation. Parfois les touristes, viennent visiter la caravane comme on visite le palais du Facteur-Cheval. D'autres en profitent pour s'offrir une bouffée gratuite. Ici le soleil fait encore pousser l'herbe molle qui procure un médiocre effet, engourdissant l'esprit, sans vraiment l'éclairer. Lui il prétend que c'est de la "bonne",  il vous l'offre, il sourit et vous fait un clin d'oeil c'est gênant mais vite on oublie. Personne autour de lui n'a eu vraiment le courage de lui dire que le monde s'était transformé, parce qu'il aurait aussi fallu lui révéler que les autres, dont il attendait le retour depuis plus de quarante ans, étaient aujourd'hui si malades, ou égarés ou morts, qu'on craignait, parmi ses plus proches, que le vieux se réveille trop brutalement de sa très vieille adolescence, il n'était pas imaginable qu'il possède encore les moyens de faire le moindre deuil. Ainsi valait-il mieux le laisser là où il avait décidé lui même d'arrêter le temps à sa guise. Un crépuscule mauve, passait encore entre les tentures indiennes sur cette île dans cette Thaïlande peuplée de fantômes, isolée en plein coeur de la Drôme.

JIM LEANDRE : "Lysergic Pop Parade", p. 154, éditions Ame-sons, 2005, Donzère